http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/08/23/le-merlu-en-convalescence-sur-la-cote-atlantique_1401731_3244.html

 

Jour de ramandage dans le hangar de Dominique Luneau, pêcheur de langoustines à La Cotinière, sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime). Sur le filet en réparation, on distingue un panneau à mailles carrées plus larges, conçu pour laisser aux jeunes merlus une chance de s'échapper du piège. Ce sont les pêcheurs qui l'ont imaginé et rendu obligatoire.

 
 

Ils ne se revendiquent pas comme "écolos". Pour eux, protéger le merlu - aussi appelé colin en région parisienne, et merlan dans le sud de la France - est une condition indispensable à la poursuite de leur métier. Et, au vu des premiers résultats, un pari réussi.

L'histoire commence à la fin des années 1990. Le merlu du golfe de Gascogne est au bord de l'effondrement. Le stock de reproducteurs atteint son plus bas niveau historique, 91 800 tonnes, contre 250 000 dans les années 1980. En cause, la surpêche pratiquée par les chalutiers qui ciblent l'espèce, mais aussi les prises accessoires des pêcheurs de langoustine, qui travaillent dans les vasières, une zone de reproduction importante des merlus. Du fait de la petite taille de leur maillage (7 centimètres), ils remontent des quantités considérables de poissons juvéniles. Leur commercialisation étant interdite, les pêcheurs les rejettent en mer. Les poissons n'y survivent pas. "Les taux de rejet pouvaient atteindre 80 % à 90 %", se souvient Alain Biseau, responsable de l'expertise halieutique à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).

En 2002, la Commission européenne met en place un plan d'urgence, qui prévoit la mise en place d'un "box" dans le golfe de Gascogne, où il sera interdit de pêcher avec un maillage inférieur à 10 centimètres. Or, les langoustines mesurent en moyenne 9,5 centimètres. "Cela signifiait l'arrêt complet de la pêche pendant la saison, d'avril à juillet", résume Eric Renaud, directeur de l'organisation de producteurs de la Cotinière.

Les professionnels de Poitou-Charentes, Pays de la Loire et Bretagne décident alors de faire des contre-propositions. En collaboration avec l'Ifremer, et avec l'aide de l'Association grand littoral atlantique, qui regroupe les collectivités régionales, ils imaginent un chalut sélectif, qui permettrait de garder leur maillage tout en laissant les petits merlus s'échapper. "Des centaines de tests ont eu lieu, raconte M. Renaud. Pour qu'il soit adopté, il fallait un dispositif simple et efficace." Au bout de trois ans d'expérimentation, un panneau à mailles carrées de 10 centimètres situé sur le dessus du chalut est retenu. Il permet l'échappement de 25 % à 30 % des merlus juvéniles, et la baisse de 50 % des rejets totaux.

"Certains pêcheurs étaient réticents, on remettait en question cinquante ans de pratiques de chalutage", se souvient M. Renaud. Mais le slogan "trier sur le fond et non sur le pont" popularise le dispositif. "Les pêcheurs ont été moins difficiles à convaincre que la Commission européenne !", rapporte M. Biseau. Mais, en 2006, la partie est gagnée, les pêcheurs de langoustine sont autorisés à entrer dans le "box" équipés de leurs nouveaux filets, rendus obligatoires.

Le stock de merlu est aujourd'hui en voie de reconstitution. Le nombre des reproducteurs dans le golfe de Gascogne atteignait 146 000 tonnes en 2009. Le climat et la baisse des quotas pour les chalutiers ciblant l'espèce ont aussi joué, mais la sélectivité a indéniablement eu des "effets positifs", selon M. Biseau.

Pour le président du comité régional des pêches de Poitou-Charentes, c'est la preuve que la "méthode bulldozer" de Bruxelles n'est pas la seule solution. "Nous ne sommes pas des exterminateurs de poissons !", lance-t-il. Dans la foulée, des mesures de sélectivité ont aussi été instaurées pour laisser les jeunes langoustines sur le fond.

Il reste pourtant du chemin à faire pour retrouver une population de merlu viable. "La mortalité par pêche doit encore être réduite pour que le stock puisse être exploité de manière durable", dit M. Biseau. Les pêcheurs du littoral atlantique travaillent à améliorer encore la sélectivité de leurs filets.
 

Gaëlle Dupont