Avec ou sans thon rouge, les Français continuent de
manger des sushis
LE MONDE | 26.02.10 | 15h56 • Mis à jour le
26.02.10 | 20h51
L'interdiction
du commerce international du thon rouge en Méditerranée,
possible depuis que la France et la Commission de
Bruxelles s'y sont ralliées, sonne-t-elle le glas des
sushis ? Aujourd'hui, 35 % des Français consomment ces
boulettes de riz surmontées d'une tranche de poisson
cru, selon un sondage réalisé par l'institut GFK en
novembre 2009 pour l'entreprise Marco Polo Foods, numéro
un européen de la production de sushis pour la grande
distribution.
"La mode des sushis est venue des Etats-Unis",
explique Toshiro Kuroda, un maître de la gastronomie
nippone, qui possède trois restaurants et une épicerie à
Paris. "Ce sont les traders de New York qui ont
commencé à en manger avec du Yakult (boisson lactée
japonaise), dans les années 1990. Puis l'engouement est
passé par Londres avant de gagner Paris au début de ce
siècle." En France aussi, ce sont surtout des
cadres urbains de moins de 50 ans qui les consomment,
selon l'enquête de GFK.
On ne trouve pas de thon rouge dans tous les menus de
sushi. "Il représente 20 % à 25 % du poisson que
nous servons, précise M. Kuroda. Cela fait
environ 1,5 kg par jour, pour 50 couverts",
ajoute-t-il. Même Greenpeace, qui se bat contre la
consommation de thon rouge, admet que "ce ne sont
pas les sushis français qui risquent de mettre l'espèce
en péril".
"La France en consomme environ 500 tonnes par an,
estime François Chartier, spécialiste de la protection
des océans au sein de l'ONG. Un chiffre à comparer
avec le quota français de 2010, de 3 500 tonnes, et la
part importée par le Japon, de 6 750 tonnes",
poursuit-il.
Les restaurateurs n'ont pas l'obligation de préciser
sur leurs cartes la dénomination exacte de leurs
poissons ("thon rouge" ou "thon blanc"). Presque tous
proposent du "thon", tout court. Les établissements haut
de gamme servent du thon rouge, mais les autres
proposent de l'albacore, une espèce à la chair rouge,
moins réputée et moins chère, sur laquelle ne pèse pour
l'instant aucune interdiction : de 15 à 18 euros le
kilo, selon les accords conclus avec les grossistes, au
lieu de 20 à 35 euros pour le thon rouge.
Depuis que la France s'est prononcée pour
l'interdiction du commerce international du thon rouge,
certains restaurateurs ne veulent plus de cette
ambiguïté, de peur d'être accusés de contribuer à la
disparition de l'espèce. La chaîne de restaurants et de
livraison à domicile Sushi Shop, française, comme son
nom ne l'indique pas, précise d'emblée sur la page
d'accueil de son site que, "depuis sa création en
1998, elle travaille exclusivement avec le thon
albacore".
Même "communiqué spécial" sur le site de
Planet Sushi. Le message n'est pas encore vraiment passé
auprès du personnel puisque, sans doute de bonne foi, il
assure vendre du thon rouge, au téléphone.
La pression écologiste avait incité certaines
enseignes à prendre les devants : Auchan l'avait banni
de ses étals fin 2007, Carrefour avait fait de même un
an plus tard. Ont suivi les poissonniers et
restaurateurs de la principauté de Monaco, en avril
2009, et les Relais et châteaux, en janvier. Un sondage
CSA commandé par Greenpeace fin janvier montre que 78 %
des Français sont prêts à arrêter de consommer du thon
rouge.
"Dès juillet 2009, nous avions prévenu nos
clients que nous le retirerions de nos menus le 1er
janvier 2010. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de
baisse de fréquentation", assure Morgan Chauffour,
directeur associé de l'enseigne de livraison à domicile
Sushi Bâ. Les restaurants authentiquement japonais, en
revanche, ne veulent rien changer à leurs traditions. A
Londres, le réputé Nobu, dont l'un des actionnaires
n'est autre que Robert De Niro, continue de servir du
thon rouge, malgré l'appel récemment signé par quelques
célébrités comme Sting, Stephen Fry ou le mannequin Elle
Macpherson. Il a juste précisé sur son menu : "Le
thon rouge est une espèce menacée. N'hésitez pas à
demander une solution de remplacement à votre serveur."
A Paris, M. Kuroda se demande pourquoi il arrêterait
de servir du thon rouge. "Parce que Sarkozy dit
qu'il ne faut plus en pêcher ?", demande-t-il. Il
rappelle que, même si le commerce international de thon
rouge est interdit, "les pêcheurs resteront libres
d'en vendre sur leur marché national". "Les Japonais
n'en importeront plus, mais en France nous serons
toujours approvisionnés", assure-t-il, serein.
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