Avec ou sans thon rouge, les Français continuent de manger des sushis


 

 

 

 

 

 
 

 

 

L'interdiction du commerce international du thon rouge en Méditerranée, possible depuis que la France et la Commission de Bruxelles s'y sont ralliées, sonne-t-elle le glas des sushis ? Aujourd'hui, 35 % des Français consomment ces boulettes de riz surmontées d'une tranche de poisson cru, selon un sondage réalisé par l'institut GFK en novembre 2009 pour l'entreprise Marco Polo Foods, numéro un européen de la production de sushis pour la grande distribution.


 

"La mode des sushis est venue des Etats-Unis", explique Toshiro Kuroda, un maître de la gastronomie nippone, qui possède trois restaurants et une épicerie à Paris. "Ce sont les traders de New York qui ont commencé à en manger avec du Yakult (boisson lactée japonaise), dans les années 1990. Puis l'engouement est passé par Londres avant de gagner Paris au début de ce siècle." En France aussi, ce sont surtout des cadres urbains de moins de 50 ans qui les consomment, selon l'enquête de GFK.

On ne trouve pas de thon rouge dans tous les menus de sushi. "Il représente 20 % à 25 % du poisson que nous servons, précise M. Kuroda. Cela fait environ 1,5 kg par jour, pour 50 couverts", ajoute-t-il. Même Greenpeace, qui se bat contre la consommation de thon rouge, admet que "ce ne sont pas les sushis français qui risquent de mettre l'espèce en péril".

"La France en consomme environ 500 tonnes par an, estime François Chartier, spécialiste de la protection des océans au sein de l'ONG. Un chiffre à comparer avec le quota français de 2010, de 3 500 tonnes, et la part importée par le Japon, de 6 750 tonnes", poursuit-il.

Les restaurateurs n'ont pas l'obligation de préciser sur leurs cartes la dénomination exacte de leurs poissons ("thon rouge" ou "thon blanc"). Presque tous proposent du "thon", tout court. Les établissements haut de gamme servent du thon rouge, mais les autres proposent de l'albacore, une espèce à la chair rouge, moins réputée et moins chère, sur laquelle ne pèse pour l'instant aucune interdiction : de 15 à 18 euros le kilo, selon les accords conclus avec les grossistes, au lieu de 20 à 35 euros pour le thon rouge.

Depuis que la France s'est prononcée pour l'interdiction du commerce international du thon rouge, certains restaurateurs ne veulent plus de cette ambiguïté, de peur d'être accusés de contribuer à la disparition de l'espèce. La chaîne de restaurants et de livraison à domicile Sushi Shop, française, comme son nom ne l'indique pas, précise d'emblée sur la page d'accueil de son site que, "depuis sa création en 1998, elle travaille exclusivement avec le thon albacore".

Même "communiqué spécial" sur le site de Planet Sushi. Le message n'est pas encore vraiment passé auprès du personnel puisque, sans doute de bonne foi, il assure vendre du thon rouge, au téléphone.

La pression écologiste avait incité certaines enseignes à prendre les devants : Auchan l'avait banni de ses étals fin 2007, Carrefour avait fait de même un an plus tard. Ont suivi les poissonniers et restaurateurs de la principauté de Monaco, en avril 2009, et les Relais et châteaux, en janvier. Un sondage CSA commandé par Greenpeace fin janvier montre que 78 % des Français sont prêts à arrêter de consommer du thon rouge.

"Dès juillet 2009, nous avions prévenu nos clients que nous le retirerions de nos menus le 1er janvier 2010. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de baisse de fréquentation", assure Morgan Chauffour, directeur associé de l'enseigne de livraison à domicile Sushi Bâ. Les restaurants authentiquement japonais, en revanche, ne veulent rien changer à leurs traditions. A Londres, le réputé Nobu, dont l'un des actionnaires n'est autre que Robert De Niro, continue de servir du thon rouge, malgré l'appel récemment signé par quelques célébrités comme Sting, Stephen Fry ou le mannequin Elle Macpherson. Il a juste précisé sur son menu : "Le thon rouge est une espèce menacée. N'hésitez pas à demander une solution de remplacement à votre serveur."

A Paris, M. Kuroda se demande pourquoi il arrêterait de servir du thon rouge. "Parce que Sarkozy dit qu'il ne faut plus en pêcher ?", demande-t-il. Il rappelle que, même si le commerce international de thon rouge est interdit, "les pêcheurs resteront libres d'en vendre sur leur marché national". "Les Japonais n'en importeront plus, mais en France nous serons toujours approvisionnés", assure-t-il, serein.


 

Rafaële Rivais