La création du Thon-Frankenstein
Depuis le début du 20ème siècle le scientisme triomphant a toujours prétendu régler les question de pression sur la ressource. Une des grandes théories de l’époque consistait à repeupler des océans à partir de fécondations réalisées en écloserie. Cette activité connut son point culminant en 1917 avec le déversement en Mer du Nord de 17 milliards de larves de morue. Très vite, on dut déchanter : ce qui était possible en eau douce avec les carpes et les truites ne fonctionnait pas dans l’eau salée…

Cent ans plus tard, un laboratoire de la Tokyo University of Marine Science Technology se remet à l’ouvrage en y ajoutant une petite touche de « modernisme ». Le but est de repeupler les océans en thon rouge, mais en y mettant les grands moyens : fécondation in vitro avec transfert d’œufs sur espèce tierce.

Dans le détail cela donne le déroulé suivant :
De longue date on sait inséminer des saumons avec des oeufs fécondés de truite ce qui donne des truites saumonées mais également une infime proportion de truites authentiques sur le plan génétique. Goro Yoshigazi, le patron du labo japonais a constaté dans la laitance d’un maquereau la présence de gamètes appartenant à une autre espèce, le nibe croaker (Nibea mitsukurii).
D’où l’idée qui a germé dans l’esprit de notre savant fou : Récupérer des œufs et de la laitance sur des thons rouges, féconder tout cela en labo, réinjecter le tout dans des femelles maquereaux, récupérer les œufs en écloserie, élever les alevins et enfin relâcher le tout en pleine mer après 3 à 4 ans de pouponnière

Au delà de la validité scientifique du raisonnement sur laquelle il est difficile de se prononcer on peut toutefois s’interroger. Les autorités japonaises en allouant 3 millions de dollars à ce programme de recherche entérinent de fait la surpêche qui fait rage sur tous les océans.

Rappelons au passage que lors de son assemblée de février dernière le comité des pêches de la FAO a annoncé que désormais, la proportion des stocks en limite maximale d’exploitation, en cours d’effondrement ou déjà effondrés était passée à 80%. Dans un tel contexte se poser la question du repeuplement plutôt que de mettre en avant des solutions de préservations des rares stocks encore en bon état et de régénération de ceux qui ont été endommagés relève autant de l’erreur stratégique que du cynisme.

L’enjeu de la dégradation des stocks ne se situe pas au niveau de l’approvisionnement du marché japonais du sushi mais c’est de la sécurité alimentaire de 2 milliards d’humains qu’il est question !

Ce programme de recherche n’est qu’un des nombreux avatars du scientisme roi ; on peut citer ceux qui veulent immerger des milliers de tonnes de limaille de fer pour régénérer les habitats, ceux qui pensent d’ici trente ans (dixit) transformer par sélection génétique (ils insistent bien sur le mot « sélection ») transformer des poissons carnivores en herbivores pour sortir du cercle vicieux de l’aquaculture consommatrice de poissons sauvages…

Les millions d’euros dispersés sur ces programmes expérimentaux auraient été mieux utilisés dans des mesures de préservation et de mise en place de plans de pêche durable, avec des effets plus rapides, plus concrets et surtout plus porteurs de sens au moins au niveau politique.

 

Voir aussi :

l’histoire de 10 thons rouges du pacifique qui ont été bichonnés pendant 10 ans dans des fermes australiennes et viennent d’être transférés par hélicoptère dans la nurserie de Clean Seas (un des géants de l’aquaculture mondiale) où ils vont être utilisés comme étalons et mères porteuses.

Voir :
http://www.abc.net.au/news/stories/2009/05/18/2573281.htm?section=justin
Et
http://www.news.com.au/adelaidenow/story/0,22606,25499994-5003680,00.html