LE MONDE | 06.04.09 | 14h49  •  Mis à jour le 06.04.09 | 14h49

Les pêcheurs de thon rouge sont sur le départ. Cette année encore, la saison ouvre le 15 avril, pour deux mois. Thunnus thynnus, espèce migratrice dont la chair se négocie à prix d'or au marché aux poissons de Tokyo, est devenu le symbole de la surexploitation des ressources marines et de l'inefficacité de la gestion politique des pêches. Non seulement les quotas, âprement négociés chaque année par les membres de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Cicta), excèdent les recommandations des scientifiques, mais ils sont dans les faits largement dépassés.

 
Pour 2009, alors que les scientifiques préconisaient un quota de 15 000 tonnes, celui-ci a été fixé à 22 000 tonnes. Les prises réelles atteindraient en fait 50 000 tonnes. Les chercheurs ont également recommandé l'arrêt de la pêche en pleine période de reproduction, sans succès.

"Le diagnostic de surexploitation ne fait aucun doute dans la communauté scientifique, affirme Jean-Marc Fromentin, spécialiste de l'espèce à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et rapporteur du groupe d'évaluation thon rouge de la Cicta. Nous disposons d'une série d'indicateurs fiables, et tous sont au rouge. La possibilité d'un effondrement est réelle, mais nous ignorons à quelle échéance. Certaines mesures prises récemment vont dans le bon sens, mais on ignore si cela sera suffisant."

Cette vision est contestée par les professionnels. "En mer, les pêcheurs constatent qu'il y a beaucoup de poisson, affirme Bertrand Wendling, directeur de la coopérative de pêche SaThoAn, basée à Sète. Et si le stock était dans un état aussi grave qu'on nous le dit, on ne capturerait plus de poisson. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas prendre de précautions."

Le suivi de l'état des stocks de thon rouge est difficile. La principale source d'informations - les quantités et la taille des poissons débarqués dans les ports - est incomplète : après leur capture, la plupart des prises sont transférées dans des fermes d'élevage pour y être engraissées avant d'être revendues, un système qui favorise l'opacité.

Mais les chercheurs s'appuient sur d'autres données : l'expansion spatiale des pêcheries, qui ne laissent plus aucun refuge aux poissons, les baisses importantes de rendement de certaines pêcheries traditionnelles et, surtout, la surcapacité de la flotte, deux à trois fois supérieure à la productivité du stock. "De plus, le thon rouge est une espèce à vie longue, ce qui la rend plus vulnérable", poursuit M. Fromentin.

La pêche a lieu essentiellement en Méditerranée, lieu de reproduction de l'espèce. Un millier de navires, de taille très variable, se partagent le quota. La France, l'Espagne et l'Italie sont les principaux pays pêcheurs. Depuis 2008, ils doivent se conformer à une série de mesures mises en place dans les pays de l'Union européenne (UE) pour lutter contre la surpêche.

 

OBSERVATEUR À BORD

 

Les contrôles, en particulier, sont renforcés. "Les pêcheurs doivent se soumettre à de très nombreuses vérifications des quantités pêchées, débarquées ou transbordées, affirme M. Wendling. Tricher dans ces conditions est extrêmement difficile." En France, en 2009, un observateur sera présent à bord de tous les navires français, pendant toute la campagne. Dans le même temps, plusieurs informations judiciaires ont été ouvertes, après dépôt de plaintes par l'Etat, pour des fausses déclarations de pêche.

Certains Etats tentent également de diminuer la capacité des flottes, qui est "au coeur du problème actuel de surexploitation", selon l'Ifremer. Les gains substantiels tirés du commerce de l'espèce, alimentés par la demande japonaise, ont entraîné un important développement de la flotte et une course aux équipements. Les navires les plus perfectionnés - dont font partie les français - peuvent coûter jusqu'à 4 millions d'euros et sont surnommés les "Ferrari des mers".

Cette logique a été encouragée par l'UE, qui a subventionné la construction de ces navires jusqu'au début des années 2000. "L'argent du contribuable a servi à alimenter la surexploitation", affirme Charles Braine, chargé du programme pêche au Fonds mondial pour la nature (WWF).

Aujourd'hui, les Etats sont prêts à payer pour détruire les navires. En France, jusqu'à 3 millions d'euros ont été proposés pour les plus gros navires, mais le plan, jugé "trop peu incitatif" par les professionnels, a échoué. Seuls un ou deux navires arrêteront la pêche cette année, sur les 36 répertoriés.

Résultat, le quota par bateau s'élève à seulement 91 tonnes en moyenne. L'année sera d'autant plus délicate pour les professionnels que les prix de vente du thon rouge sont en baisse, du fait de la crise économique, et de la présence de stocks de poissons congelés au Japon. "Nous sommes à la limite de la rentabilité pour certaines entreprises", constate M. Wendling. Selon certains observateurs, cette rentabilité est assurée autour de 200 tonnes par an. "On met en place un système qui ne peut conduire qu'à la fraude", commente M. Braine.

Gaëlle Dupont