Merci à Stéphan BEAUCHER pour son éclairage sur ce sujet .

 

 A l’échelle mondiale, la FAO estime que 75% des stocks halieutiques sont pleinement exploités, en cours d’effondrement ou déjà éteints. En Europe et d’après les estimations de la Commission, ce sont 88% des stocks qui sont aujourd’hui surexploités.

Au-delà de la pénibilité de leur tâche, les pêcheurs doivent aujourd’hui faire face à une grave crise économique . Cependant, considérer le problème sous l’angle étroit du prix des intrants, et notamment du prix du gazole, est non seulement réducteur mais également dangereux, pour les pêcheurs, les ressources naturelles et, plus largement, pour la société.

  1. S’il y avait plus de poisson accessible, s’il n’y avait pas trop de bateaux le prix du carburant ne prendrait pas l’ampleur qu’il a actuellement.
  2. Si le secteur de la pêche en France est, depuis quelques années déjà, moribond, ce n’est que très marginalement à cause du prix du carburant. En revanche, la surexploitation des principaux stocks halieutiques, phénomène mondial, oblige à augmenter constamment l’effort de pêche  pour maintenir artificiellement des volumes de prises à peu près constants, ce qui diminue d’autant la rentabilité de l’activité et par là même la fragilise.
  3. L’avenir des professionnels de la pêche mérite mieux que des tractations nationales guidées par une approche essentiellement démagogique de court terme. C’est une réflexion globale et de long terme sur ce secteur en crise qui s’impose, afin de ne pas ajouter à la difficulté de la situation la précarité des solutions.
  4. A la lumière de ce constat de surexploitation qu’aucun scientifique ne conteste, la hausse des subventions au gazole apparaît, en France comme chez nos voisins et partout dans le monde, comme une fausse solution pour au moins quatre raisons.
     
  5. Au-delà de mesures improvisées et finalement contreproductives, c’est en réalité une restructuration générale du secteur de la pêche qui s’impose aujourd’hui. Organisations internationales, ONG et experts ne cessent d’ailleurs de le répéter : une réduction significative – mondiale, européenne et nationale – de l’effort de pêche est une nécessité absolue pour la survie même du secteur.
  6.  En Europe, au vu de l’état alarmant de certains stocks, cette réduction passe probablement dans l’immédiat par une diminution des quotas. Cela sera difficilement tenable, dans un premier temps, sans une diminution du nombre d’entreprises de pêche, du nombre de bateaux, et sans doute, qu’on le veuille ou non, du nombre de pêcheurs. Elle doit s’accompagner d’un effort considérable sur la sélectivité des engins utilisés pour limiter les prises accessoires ainsi que sur les parcours de formation initiale et continue des pêcheurs, dont les enjeux de gestion des ressources sont aujourd’hui quasiment absents.
  7. Surtout, l’ensemble des subventions accordées à ce secteur doit être soumis à un principe de durabilité. Les subventions au gazole ne répondant clairement pas à ce critère, un autre enjeu majeur est de permettre aux pêcheurs de répercuter directement toute hausse du prix du carburant (ou de tout autre intrant) sur le prix de vente, et donc sur toute la chaîne de commercialisation jusqu’au consommateur. Si cela semble évident dans une économie de marché, ce n’est pas le cas aujourd’hui pour différentes raisons sur lesquelles il conviendrait d’intervenir d’urgence.
  8. Qui doit payer le prix de ces efforts ? Certainement pas les pêcheurs en tous cas, pour la plupart contraints par un système que nul ne contrôle vraiment. De nombreuses solutions financières existent déjà au niveau français, et surtout communautaire dans le cadre de la Politique Commune des Pêches, pour racheter et détruire un certain nombre de bateaux, aider à la reconversion des pêcheurs, etc. Compte tenu du poids socio-économique limité de ce secteur en France (moins de 2% de la production agricole française), un dispositif permettant d’éviter toute perte de revenu pour les pêcheurs qui accepteraient de sortir du métier est tout à fait envisageable. Il serait même moins coûteux à échéance de quelques années que les centaines de millions d’Euros que la France dépense annuellement en subventions qui ne font qu’entretenir le cercle vicieux de la surexploitation et de la crise.
  9. Plus largement et à moyen terme, c’est toute la filière de production et de commercialisation qui doit être remise à plat, à travers une approche globale mettant en relation les différents éléments évoqués ici. Ainsi par exemple, les chalutiers, actuellement majoritaires, sont peu sélectifs et très destructeurs pour le milieu marin, en même temps qu’ils s’avèrent particulièrement gourmands en carburant. Comme pour l’agriculture, intensification, industrialisation et déshumanisation ne sont pas les seules voies possibles : dans le cadre de l’économie de marché, notre société a le choix des règles par lesquelles elle encadre et oriente les activités primaires. Rien n’oblige finalement sur le long terme à voir le nombre de pêcheurs vivant de leur métier, ni le nombre de bateaux, continuer de décroître : des dispositifs sont envisageables qui garantiraient à terme un prix plus élevé et fixé à un plus grand nombre de pêcheurs aux pratiques durables et nécessairement moins intensives.
     

 
Nul doute que les pistes avancées ici ne seront pas empruntées sans difficultés, qu’elles provoqueront des situations individuelles délicates qui pourront être perçues comme autant d’injustices. Mais quoi de plus injuste que de risquer quotidiennement sa vie en mer sans en tirer des revenus décents ?

Actuellement, pour 1,1 milliard d’Euros de volant d’activité, la pêche française perçoit 850 millions d’Euros de subvention. Les pêcheurs veulent vivre dignement et durablement de leur métier ; les solutions de facilité telles que les subventions au gazole ne les y aideront pas, mais entretiendront au contraire un système pervers dont les coûts sociaux, économiques et écologiques sont considérables.

Des choix politiques forts, alliant mesures d’urgence et restructuration de long terme, sont aujourd’hui nécessaires pour rebâtir un secteur sain et rentable, respectant les cycles de renouvellement des ressources. C’est un nouvel équilibre européen qui est nécessaire par lequel chaque État s’engagerait dans la voie d’une pêche durable sur la base d’un ensemble d’opportunités et de contraintes équitablement redistribuées.