L'ÉCONOMIE DE LA MER

Pêcheur, une profession qui s'interroge

Confrontés au prix du gazole et aux exigences de Bruxelles pour mettre en adéquation la taille de la flotte aux ressources halieutiques disponibles, les pêcheurs doivent réinventer leur profession.

« Trois cents euros pour quinze jours de mer. On ne veut pas travailler plus, mais gagner plus. » Début novembre, les pêcheurs étaient en grève pour protester contre le gazole cher. Devant les caméras, un matelot brandissait sa fiche de paie sous le nez de Nicolas Sarkozy, venu au Guilvinec éteindre l'incendie. Le gouvernement s'engageait aussitôt à aider les pêcheurs, même si Bruxelles interdit les aides directes aux entreprises. Pas question de laisser ce mouvement s'étendre aux routiers, comme en 2000. Les pêcheurs ont donc repris la mer, avec la promesse de nouvelles aides... qui restent encore à définir. Fin de la séquence pour le téléspectateur. Qu'en retiendrat-il ? L'image d'un métier de misère, d'un métier d'assistés, ballotté de crise en crise ? La pêche est périodiquement déstabilisée par des facteurs extérieurs. En 1993-1994, les disparités monétaires avaient favorisé les importations. Depuis 2005, les aléas de la nature privent les pêcheurs d'anchois. C'est maintenant la hausse du prix du carburant qui est en cause. Le baril de brut frôle les 100 dollars, et le gazole représente 30 % du chiffre d'affaires des chalutiers. Moitié plus qu'il y a deux ans. Les bateaux ne sont plus rentables, les marins gagnent difficilement leur vie.

Chalutage au large
Le chalutage, et surtout le chalutage au large, gros consommateur de carburant, est le plus impacté. Or cette catégorie fournit aux criées l'essentiel des apports. « Près de 60 % des débarquements en Cornouaille, premier pôle de pêche français », précise un armateur concarnois. Les difficultés de cette flottille chalutière sont donc aussi celles de toute une filière. Il est compliqué de sortir de ce guêpier. A la différence des routiers, la hausse du carburant ne peut être répercutée par les pêcheurs sur leurs clients, car le poisson est vendu aux enchères. L'encadrement du secteur ne laisse d'autre part aux marins guère de possibilités d'adaptation. Quotas, licences et autres permis de pêche spéciaux les empêchent de se tourner vers d'autres pêcheries ou d'autres espèces et de pêcher plus.

L'évolution technique aussi est limitée. L'Union européenne contrôle les principales caractéristiques des engins de pêche et bloque quasiment le renouvellement de la flottille, qui vieillit inexorablement. L'âge moyen de la flotte française dépasse à ce jour 23 ans. Or ces bateaux consomment trop et coûtent cher en entretien.

Dans un cadre mouvant, car largement mondialisé, Bruxelles a donc figé les règles du jeu et poursuit à marche forcée son objectif : mettre en adéquation la taille de la flotte communautaire et les ressources disponibles. En un peu plus de vingt ans, le nombre de navires a chuté d'au moins 40 %. L'Europe vient pourtant de durcir ses exigences pour tirer, d'ici à 2015, les meilleurs rendements des stocks de poissons, sans en compromettre l'existence. Cela demandera encore des sacrifices aux pêcheurs.

Rationaliser le secteur
Les Français vont aussi devoir revoir à la baisse leur propre représentation professionnelle. Car il n'y a plus assez de bateaux pour financer toutes les structures. Il va falloir rationaliser le secteur, a annoncé le gouvernement, qui envisage de réduire sa propre administration. Cela aussi contribue à déstabiliser le monde de la pêche. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, de voir les pêcheurs rejeter l'Europe, qui a pourtant financé la modernisation de leur filière. Il n'est pas étonnant, non plus, de constater que la casse subventionnée de bateaux fait recette. Les pêcheurs, eux-mêmes, doutent de la pérennité de leur métier, et les vocations se font rares.

C'est au fond le plus inquiétant. Car, malgré ses difficultés, la pêche est encore porteuse d'avenir. Certaines catégories de navires restent rentables et permettent de bien vivre. C'est le cas des bateaux côtiers de moins de 12 mètres (70 % de la flottille française) et de ceux qui utilisent des techniques autres que le chalutage (deux tiers de la flottille).

La profession a, d'autre part, su accomplir une révolution culturelle inédite dans l'histoire des pêches. Il y a moins de vingt ans, elle décernait des rubans bleus aux bateaux qui réalisaient les plus gros tonnages. Aujourd'hui, elle raisonne en termes de développement durable, d'approche de précaution, ou de sélectivité. Les pêcheurs s'impliquent dans la gestion des ressources et sont devenus une force de proposition au sein de l'Union européenne. Ces efforts commencent à payer. Pour la première fois depuis vingt ans, la Commission européenne reconnaît que certains stocks vont mieux. Tout cela devrait logiquement donner quelques perspectives au secteur... Il est actuellement au milieu du gué. Reste à savoir si on veut aider le plus grand nombre à le traverser, ou si cette mutation s'assimilera à une marche forcée.

PHILIPPE URVOIS

Les Echos N°20067 du 13 Decembre 2007