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Demain sort en salle le film « les Seigneurs de la mer », œuvre signée Rob Stewart. A la frontière entre documentaire et plaidoyer, cette production est une réussite tant sur le fond que sur la forme. Hymne à la gloire du requin, ce documentaire nous entraîne dans les profondeurs sous-marines pour nous montrer une réalité difficile à admettre. Erigé en machine à tuer, le requin paie aujourd’hui lourdement le prix de la mythologie populaire. Alors qu’on le massacre sans vergogne pour alimenter un marché parallèle qui ferait rougir les magnats de la drogue, tout le monde s’entend à fermer les yeux sur l’extinction proche qui menace ce poisson.

Redouté pour ses prétendues intentions assassines, le requin compte en réalité parmi les espèces marines les plus menacées. 90% des diverses espèces de requins devraient disparaître avant la moitié de ce siècle sous le poids de pêches accidentelles et illégales.

Principal responsable de cette extermination massive, le commerce asiatique des produits dérivés du requin, la soupe aux ailerons étant très prisée par l’art culinaire chinois, prospère avec l’appui de dirigeants corrompus. A 500 dollars le kilo au détail, les ailerons de requins font ainsi la joie des braconniers qui n’hésitent pas à pratiquer à outrance le « shark finning » pourtant interdit.

Cette technique de pêche d’une cruauté à la limite du soutenable consiste à amputer l’animal de ses nageoires avant de le replonger, mutilé, dans la mer. Pratiquée en mer, elle offre le net avantage pour les pêcheurs de ne pas avoir à conserver la chair de ce poisson peu recherchée.
Dans 50% des cas, le requin une fois rejeté à la mer est encore vivant. Dépossédé de ses nageoires, il est incapable de nager et de s’alimenter en oxygène ; sa mort est donc inéluctable. En revanche, son agonie peut durer entre 24 heures et 3 semaines. Ce sont plus de 100 millions de requins qui subissent chaque année ce sort peu enviable.

Cause première du déclin du roi des mers, cet exercice barbare n’a eu de cesse de se banaliser au cours des dix dernières années, notamment grâce la possibilité pour les pêcheurs de débarquer séparément les carcasses et les ailerons. Incapables d’établir un rapport entre les deux, les autorités sont dans l’impossibilité de contrôler les dérives issues du finning.

Indigné par l’indifférence générale, Rob Stewart a choisi l’art cinématographique pour lever un tabou bien ancré dans la pensée populaire, mettant à profit ses talents de biologiste et de photographe sous-marin. Certes le requin se situe au sommet de la chaîne alimentaire mais cela ne fait pas pour autant de lui une bête sanguinaire. Alors que seules cinq personnes meurent chaque année suite à une attaque de requins, 100 décèdent à cause d’une agression de tigres ou d’éléphants. Dans la même année, 2400 décès sont dus aux exécutions, 22 000 à la drogue, 1 200 000 morts résultent d’accidents de la route. Alors, de l’homme ou du requin, qui est le prédateur ?

Si le message délivré par ce film est aussi fort, c’est qu’il illustre une réalité qui nous échappe. En embarquant à bord de l’Ocean Warrior et en participant à l’expédition de 4 mois organisée par l’association écologique Sea Sheperd pour empêcher les prises illégales de requins au Costa Rica et en Equateur, le réalisateur a rendu tangible ce qui nous semblait si loin.

Le résultat, d’une qualité visuelle remarquable, nous offre un regard neuf sur ces « seigneurs de la mer ». Il y a fort à parier que les plus sceptiques ne ressortiront pas indemnes de cette immersion en eaux troubles.
 

Cécile Cassier