La France veut envoyer une partie de ses thoniers par le fond
Pêche. Face aux pressions de Bruxelles, le gouvernement va prendre des sanctions.
Envoyé spécial à Sète PIERRE DAUM
QUOTIDIEN : jeudi 25 octobre 2007
 

La fête est finie. Après avoir longtemps laissé ses thoniers profiter d’un secteur extrêmement lucratif (le prix du thon rouge peut atteindre 100 euros le kilo sur le marché japonais), les autorités françaises ont décidé de taper très sévèrement sur les doigts de ses armateurs, accusés de participer, avec tous leurs collègues du pourtour méditerranéen, à l’épuisement progressif des stocks de thon rouge. Mardi, Michel Barnier, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, a évoqué «la très forte volonté française de punir les auteurs de dépassements» des quotas de pêche de thon. Selon nos informations, le gouvernement français est même prêt à aller plus loin, et très rapidement. Dès demain, une lettre doit être envoyée à la Commission européenne, dans laquelle la France promet, pour la première fois, d’infliger des sanctions très dures à l’encontre d’un grand nombre de patrons thoniers. Avec, à la clé, des restrictions importantes de possibilités de pêche, et même, pour certains, la perspective d’une cessation de leur activité.

 
     
   
 
Traumatisé. Le 26 septembre, un courrier, arrivé sur le bureau de Michel Barnier, a glacé d’effroi les responsables ministériels de la pêche. Signée de Joe Borg, commissaire aux Pêches de l’Union européenne (UE), cette lettre accuse la France d’un «manquement en matière de contrôle de la pêche» au thon rouge en Méditerranée lors de la dernière campagne, qui s’est achevée le 30 juin. En clair : Bruxelles reproche à la France de n’avoir pas été capable d’empêcher un dépassement du quota qui lui a été alloué. La Commission a donné jusqu’à fin octobre aux autorités françaises pour apporter une réponse, avant de décider de porter plainte devant la Cour européenne de justice. Traumatisé par la sanction de 70 millions d’euros, infligée par cette même cour, en 2005, pour des captures de poissons «sous-taille» (c’est-à-dire de taille inférieure à celle autorisée par l’UE), le ministère veut à tout prix éviter une seconde sanction.
Or, impossible de nier ce dépassement de quota, puisque la France l’a officiellement reconnu, et dans des proportions incroyables : selon les chiffres transmis mi-septembre à la Commission, les thoniers auraient pêché 10 165 tonnes, alors que leur quota s’élevait à 5 493 tonnes ! «Il ne nous restait qu’une solution, explique un proche du ministre : montrer notre bonne volonté à sanctionner les fautifs, et instaurer de nouvelles règles beaucoup plus contraignantes.»

Côté sanction, un problème se pose : comme il n’existe aucune répartition des quotas bateau par bateau, on ne peut accuser personne en particulier. «Par contre, explique Philippe Moge, directeur des Affaires maritimes de Sète, chargé de récolter tous les chiffres des captures de poissons, nous allons enquêter pour chacun des 37 thoniers français en Méditerranée sur les infractions aux obligations de déclaration de pêche.»

Fausse déclaration. Une pratique est visée, celle de déclarer ses prises avec trois, voire quatre semaines de retard. «Fin juin, avec ce que j’avais reçu comme déclaration de prises, le quota n’était pas dépassé, note Philippe Moge. Mais c’est après que les déclarations sont tombées. J’en ai reçu jusqu’en août !» Autre infraction suspectée : celle de la vente, par des patrons qui n’ont rien pêché, de fausses déclarations à des armateurs étrangers (turcs en particulier) en manque de quota. Selon Christian Ligeard, directeur des pêches au ministère, cité par l’hebdomadaire Le Marin, ce trafic de «quota papier» «pourrait dépasser le millier de tonnes».

Selon nos informations, cinq ou six bateaux feraient actuellement l’objet d’une enquête. Leurs patrons risquent bien pire qu’une amende : la suspension, voire le retrait de leurs licences. En ce qui concerne les nouvelles mesures, la lettre-réponse de la France à Bruxelles envisage pour la première fois une répartition des quotas bateau par bateau, ce qui risque de provoquer une panique parmi les patrons pêcheurs. Le plus puissant d’entre eux, Jean-Marie Avallonne, a déclaré la semaine dernière au Midi Libre que «pour qu’un bateau vive, il faut qu’il ramène 250 tonnes». Multipliées par les 37 bateaux que compte la flottille française, cela ferait plus de 9 000 tonnes !

«Sortie de flotte». A moins qu’on envisage d’en faire disparaître quelques-uns – ceux qui ont le plus «fauté». Dans son courrier, le ministère français demande d’ailleurs la permission d’aider financièrement les volontaires à une «sortie de flotte» (en clair : la casse de leur navire). Ce courrier marque un changement radical de la politique du gouvernement envers ses armateurs de thoniers. A condition que les autres pays en fassent de même. Or, tous les professionnels (pêcheurs, chercheurs et fonctionnaires du ministère) sont persuadés que les gros producteurs européens de thon, l’Italie et l’Espagne, dépassent largement le quota, sans l’avouer. «On veut bien jouer les bons élèves, mais pas les dindons de la farce», résume un représentant français à Bruxelles.

Dans la lettre envoyée à la Commission, Paris suggère l’idée de contrôles croisés : la France pourrait envoyer deux inspecteurs sur les bateaux et les quais espagnols ou italiens, et inversement. Le 9 novembre s’ouvre à Antalya, en Turquie, la réunion annuelle de l’Iccat (Commission internationale pour la conservation du thon), qui doit décider de la répartition des quotas pour la campagne 2008. Dire qu’on peut s’attendre à de très vifs débats est un euphémisme.