Le réchauffement climatique menace aussi la
Méditerranée
Une méduse près des côtes
israéliennes (Photo Bella Galil/AFP/Archives) |
Vendredi
13 avril 2007, 10h24
Prolifération d'espèces tropicales, vie en danger dans les grands fonds, montée
des eaux... Les spécialistes mondiaux de la Méditerranée, réunis en congrès
cette semaine à Istanbul, dressent un sombre tableau des effets du
réchauffement climatique sur la Grande Bleue.
Spécialiste
des espèces invasives, Bella Galil, de l'Institut national israélien
d'océanographie, invitée avec quelque 800 scientifiques au 38e congrès de la
Commission internationale pour l'exploration scientifique de la mer
Méditerranée (CIESM), est la première à clamer son inquiétude.
Des poissons
et des algues tropicales ayant pris le chemin de la Méditerranée orientale, on en
connaît depuis le percement en Egypte du Canal de Suez, en 1869. Ils
représentent aujourd'hui pas moins de 80% des 550 espèces allogènes recensées
dans le bassin méditerranéen.
Mais au temps
du réchauffement planétaire, ces organismes sont selon la chercheuse autant de
"candidats qui attendent dans la Méditerranée de se répandre d'avantage,
parce qu'ils sont à l'origine adaptés à la chaleur alors que la plupart des
espèces locales sont adaptées au froid".
Ce
"conflit des civilisations" en eau salée, qui a déjà commencé avec la
propagation d'invertébrés tels que le bivalve Brachidantes pharaonis des côtes
du Levant à la Corse ou la méduse Rhopilema nomadica jusqu'au Péloponnèse,
pourrait s'avérer fatal à nombre d'habitants originels, prévient Mme Galil.
"Dans
l'Atlantique, les espèces 'froides' peuvent monter jusqu'à Bergen (en Norvège),
mais en Méditerranée il n'y a pas de Bergen, ça s'arrête à Marseille (sud de la
France)", s'exclame-t-elle. "Les espèces ne peuvent pas passer par le
continent, (pour elles) ça s'arrête dans la marina de Marseille".
Plusieurs
scientifiques réunis à Istanbul évoquent un réchauffement moyen de l'eau
méditerranéenne de l'ordre d'un degré au cours de la décennie passée.
Un programme
lancé par la CIESM a pour sa part révélé que la température s'accroissait
également dans les fonds marins, en l'occurence de 0,3°C entre 1985 et 2000
selon des captages effectués à la hauteur du détroit de Gibraltar. Une
évolution apparemment minime, mais potentiellement lourde de conséquences.
"Dans les
eaux profondes, les organismes sont adaptés à des températures constantes, de
l'ordre de 13°C, ils ne sont pas habitués aux changements saisonniers",
explique Frédéric Briand, le directeur de la CIESM. "Et là, ça va faire
une grosse différence".
Troisième volet du tryptique, la montée des eaux, causée
par la fonte des glaces et dans une moindre mesure la dilatation de l'eau sous
l'effet de la chaleur, a déjà débuté en Méditerranée, explique le professeur
Bouchta El Moumni, de l'Université de Tanger (Maroc).
"Durant les années 60, il y avait la mode des
bâtiments 'les pieds dans l'eau'. Dans beaucoup de zones ces constructions sont
déjà envahies ou démolies par l'élévation du niveau de la mer", relate le
scientifique. "Un degré de plus, cela fait une avancée du trait de côte
de plusieurs dizaines de mètres".
Le pire reste
pourtant à venir, selon le chercheur: "Des aménagements côtiers vont
disparaître, les habitations seront endommagées, les systèmes lagunaires (...)
vont être annexés au milieu marin".
La situation
tourne au dilemme pour Maria Snoussi, professeur à l'Université de Rabat, dont
les travaux ont mis en évidence le rôle néfaste des barrages fluviaux dans
l'approvisionnement des écosystèmes côtiers en sédiments et en éléments
nutritifs.
"Au
Maroc, on est déjà dans un stress hydrique. Et bien, le seul outil pour faire
face au changement climatique c'est la construction de plus de barrages. Mais
(alors) on condamne les écosystèmes côtiers", résume-t-elle. "Il va
falloir faire un choix".