L'accord international sur la pêche au thon accueilli avec scepticisme

LEMONDE.FR avec AFP | 27.11.06 | 11h35  •  Mis à jour le 27.11.06 | 12h12

aluées par la Commission européenne, critiquées par la France, les mesures adoptées dimanche 26 novembre à Dubrovnik (Croatie) par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat) afin de freiner la surpêche des thons rouges d'Atlantique et de Méditerranée sont loin de faire l'unanimité.

 

Le ministre de l'agriculture et de la pêche français, Dominique Bussereau, a exprimé lundi matin ses "fortes réserves" sur l'accord lié à la réduction des quotas de la pêche au thon. Le ministre juge qu'il"ne remplit pas les conditions d'une lutte suffisamment efficace contre la pêche illicite" et que les mesures "vont toucher très durement la flotte pêchant légalement, tout particulièrement la flotte française, sans avoir d'impact réel sur la pêche illégale". Dominique Bussereau "exprime ses fortes réserves, et constate que l'accord trouvé risque de demeurer insuffisant pour préserver la ressource, alors que sa mise en œuvre demandera un effort très important à la flottille française".

Les 42 participants de la réunion de l'Iccat ont notamment accepté de réduire les quotas de pêche à 29 500 tonnes en 2007 et jusqu'à 25 500 tonnes en 2010, contre 32 000 tonnes cette année. Par ailleurs, la Commission a décidé l'extension des saisons de fermeture de la pêche et la révision à la hausse de la taille minimale des prises autorisées.

SURCAPACITÉ DES FLOTTES ET INSUFFISANTE APPLICATION DES LOIS

Du côté de l'Union européenne, on a salué la conclusion de cet accord qui vise à offrir un avenir pérenne à l'industrie de la pêche au thon rouge.

Mais les scientifiques ne partagent pas cet optimisme. Pour nombre d'entre eux, le nombre actuel de prises est trois fois supérieur à celui qui permettrait un renouvellement optimal de l'espèce. Sergi Tudela, du Fonds mondial pour la nature (WWF), voit dans l'accord de Dubrovnik un "plan d'effondrement du thon rouge [plutôt qu'] un plan de sauvegarde". Pour Stéphan Beaucher, de Greenpeace, "la réduction des quotas n'est pas à la mesure des enjeux. D'autant qu'ils ne seront pas plus respectés que les précédents".

Au Japon, si les journaux – qui titrent massivement sur le sujet – reconnaissent qu'un tel accord était nécessaire, les consommateurs s'attendent à voir le prix des sushis et des sashimis grimper. "Le danger d'un épuisement des ressources reste grave", s'inquiétait l'Asahi Shimbun, notant que les nouveaux quotas restent très supérieurs aux 15 000 tonnes par an recommandées par le comité scientifique de l'Iccat. Selon le journal, ce sont les pressions de l'Europe qui ont empêché la conclusion d'un accord plus important.

La réduction de quotas "va sûrement affecter le prix du thon même si cela ne sera pas forcément spectaculaire", explique un porte-parole de l'Agence des pêches nippone. Passant outre le possible mécontentement des 127 millions d'habitants de l'Archipel, le gouvernement japonais a soutenu la décision de Dubrovnik.

Compte rendu

Menacé par la surpêche, le thon rouge n'est pas suffisamment protégé

LE MONDE | 27.11.06 | 15h17  •  Mis à jour le 27.11.06 | 15h17

e thon rouge, menacé par la surpêche, vit peut-être ses dernières années en Atlantique et en Méditerranée. Scientifiques et écologistes craignent en effet que les mesures adoptées, dimanche 26 novembre à Dubrovnik (Croatie), par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Cicta), ne préviennent pas l'effondrement redouté des stocks. La Cicta, organisation multilatérale composée de 43 Etats membres et chargée, depuis quarante ans, de la gestion partagée des stocks de thonidés, a débattu pendant près de dix jours des mesures à prendre pour sauvegarder cette ressource menacée par la surpêche - la France dispose ainsi d'une flottille d'une capacité de 12 000 tonnes par an, alors que son quota est de 6 000 tonnes.

 

Le comité scientifique de la Cicta avait donc été clair : pour assurer la pérennité du thon rouge dans la zone est de l'Atlantique et en Méditerranée, il faudrait limiter les prises à 15 000 tonnes par an, alors que les quotas alloués pour la période de 2002 à 2006 étaient de 32 000 tonnes et que l'intensité réelle de la pêche, compte tenu des prises illégales, se situe à près de 50 000 tonnes. Craignant pour leurs thons, qui vont pour partie se reproduire en Méditerranée, les Etats-Unis étaient disposés à suivre des recommandations sévères. La Commission européenne, placée sous l'oeil des pêcheurs, venus en nombre à Dubrovnik, y était beaucoup moins favorable.

PAS DE CONSENSUS

La Cicta n'est finalement pas parvenue à établir un consensus et a dû se résigner, pour la première fois de son histoire, à passer au vote. Celui-ci établit de nouveaux quotas, qui passeront de 29 500 tonnes en 2007 à 25 000 tonnes en 2010. La masse minimale des thons est désormais fixée à 30 kg, et non plus à 10 kg. La pêche sera fermée du 1er juillet au 31 décembre. Enfin, les dépassements de quotas passés ont été "amnistiés".

La Commission européenne saluait dimanche "la conclusion d'un accord international sur le durcissement des règles de la pêche au thon rouge visant à offrir un avenir pérenne à cette industrie". Mais, pour Sergi Tuleda, du Fonds mondial pour la nature (WWF), il s'agit plus d'un "plan d'effondrement du thon rouge que d'un plan de sauvegarde". Pour Stéphan Beaucher, de Greenpeace, "la réduction des quotas n'est pas à la mesure des enjeux. D'autant qu'ils ne seront pas plus respectés que les précédents".

L'augmentation de la taille minimale, qui permettra à un plus grand nombre d'individus d'arriver à la maturité sexuelle, ne contrebalancera pas l'effet surpêche, juge-t-il. Enfin, la pêche reste ouverte pendant la période de reproduction, lorsque les bancs sont les plus faciles à localiser. "Les pêcheurs industriels sont les grands vainqueurs de cette négociation", constate Stéphan Beaucher. Celui-ci place désormais ses espoirs dans la position du Japon, qui a menacé de fermer son marché. Le Japon, qui est le plus gros consommateur mondial de thon rouge, dispose d'environ deux années de stocks en entrepôts frigorifiques. Or cette réserve "stratégique" arrive à péremption au bout de deux ans environ...

Hervé Morin

 

CHIFFRES

29 500 tonnes : quota de pêche au thon rouge autorisé en 2007 dans la zone l'Atlantique est et la Méditerranée.

15 000 tonnes : niveau de prise au-delà duquel le renouvellement du stock de thon rouge n'est pas assuré.

50 000 tonnes : niveau de prise estimé, pêche illégale comprise. L'essentiel va engraisser dans des fermes marines.

40 000 tonnes : estimation du stock japonais, pour une consommation annuelle de 18 000 tonnes environ.

Article paru dans l'édition du 28.11.06